Il est vrai que la date des élections présidentielles est devenue un peu plus précise, officieusement il serait question du mois de juin après plusieurs mois d’incertitudes. Pourtant le mandat présidentiel à une durée précise, sept ans, ce dernier a commencé le 29/11/2009 et devrait s’achever à la fin de l’année.
Nous pouvons donc nous poser en toute légitimité la question du pourquoi ce flottement de date autour d’un acte aussi essentiel. La réponse à cette question concerne d’évidence certaines modalités de stratégies du parti au pouvoir afin d’organiser des élections qui, comme les précédentes, puissent se terminer avec un score « obiantesque », à savoir passer la barre des 90% de votes favorables voire frôler les presque 100%, comme ce fut le cas lors des 3 élections précédentes.
Notons ce fait statistique : dans une démocratie dont les rouages de choix libres sont clairement posés, le partage des voix est invariablement dans une fourchette de 50/50 ou au maximum de 40/60. Cette donnée statistique nous informe sur la qualité du tissus réellement démocratique, il est constitué habituellement d’un pôle majoritaire et d’opposition stable dans son équilibre. Ce premier vecteur nous renseigne sur la qualité d’une élection, les scores où le pôle d’opposition est réduit à quelques miettes en pourcentage démontrent sans aucun détour que la validité de cette élection est sujette à caution, pour ne pas dire démonstrative d’une iniquité patente.
Cela démontre aussi, pour la Guinée équatoriale et certains autres pays en Afrique que la qualité de démocratie présentée par les pouvoirs officiels, n’est donc qu’une façade, une image, dans un système plus global où il s’agit avant tout de conforter un pouvoir, élection après élection, tout en s’inscrivant à l’international comme une nation de droit. Ce mouvement s’est inscrit depuis une trentaine d’années, les dictatures trop visibles devenant difficilement fréquentables, c’est donc un processus d’élections très particulier qui s’est mis en place afin de donner quitus mais sans changer le socle politique dictatorial qui les supporte.
Ce bilan nous amène à nous interroger sur la structure des oppositions dans un tel contexte et comprendre pourquoi deux oppositions types apparaissent systématiquement dans ces configurations : l’une étant dite légalisée dans le pays et l’autre devant se maintenir en exil.
L’opposition légalisée est le pivot obligé d’un tel système, elle est la partie factice utilisée par le pouvoir pour prétendre, en communications officielles, se présenter à des élections dites démocratiques. Ici il n’est pas question de faire un procès d’intention à propos de telle personnalité qui a fait le choix de résider au pays et tenter la carte de l’opposition légalisée, mais d’entendre que le curseur d’expression et d’actions, pour elle, est réduite à la part congrue définie par le pouvoir pour poser un décor démocratique. Ainsi cette opposition en est réduite pas seulement à des compromis mais aussi à des compromissions, par des effets de pressions, de harcèlement ou même d’intérêts liés à des difficultés factuelles d’évoluer dans ce type de société contingentée. Nous pouvons citer dans le cas de la Guinée Equatoriale, le cas du CPDS ou le nouveau parti d’opposition légalisé lors de la « table de dialogue », en novembre 2015 : le CI. Ces partis se placent d’emblée dans un engrenage délicat, la ligne rouge fixée par le pouvoir étant fluctuante au gré des réactions populaires. Le CI vient d’en faire une expérience cuisante avec une brusque interruption de sa tournée électorale ordonnée par le ministère de la sécurité, suite à un incident qui a toutes les qualités d’une provocation sciemment organisée.
Dans tous les cas, cette opposition, de par l’implantation de ses structures à l’intérieur du pays reste très largement contrôlable par le pouvoir central.
L’opposition dite en exil pose sans nul doute beaucoup plus de problèmes au pouvoir. De par sa nature, l’exil, elle dénonce de facto que la structure démocratique affichée est à l’antithèse de ses prétentions. En effet, les différentes personnalités qui la composent dans divers partis sont « persona non grata » en Guinée Equatoriale, sinon à leur risque et péril. Les cas d’opposants politiques ayant eu à subir des arrestations arbitraires et des mauvais traitements, pour ne pas dire tortures ou exécutions, représentent un long cortège de personnes qui ont sacrifié leurs libertés ou leurs vies dans les aléas de ce combat. Au-delà de cet état de fait, l’opposition en exil s’est organisée, sur plusieurs périodes, en divers courants, organisations, partis, faisant état d’une pluralité absente de la représentation officielle. Ces courants variés expriment donc des aspirations politiques très différentes de celles pratiquées en Guinée Equatoriale. Ici, nous constatons que c’est une source de complications importantes pour le pouvoir, car, si ces oppositions sont en exil, elles s’expriment librement dans un espace international et viennent contredire par leurs actions ce que le pouvoir tente de contrôler depuis l’intérieur.
Nous pouvons donc constater diverses tentatives pour décrédibiliser cette opposition. Tout d’abord par la mise en œuvre de plusieurs sources médiatiques manipulatoires où il s’agit de contrer l’information négative qui filtre à propos de l’état politique et économique réel de la Guinée Equatoriale, en mettant en place des sites d’informations qui sont de véritables sites de propagande dont la qualité journalistique n’est même pas à dénoncer tellement elle est caricaturale. A ce titre on peut citer le journal numérique « laotravoz.info », chargé à la fois de magnifier les actions gouvernementales, pour ne pas dire la famille du Président Obiang, et de ridiculiser les oppositions par des propos diffamatoires ou caricaturaux.
En second lieu et c’est sans doute la partie la plus sensible pour les oppositions en exil à l’approche des élections présidentielles, il s’agit de la tentative de sabotage pure et simple à l’intérieur même de leurs structures. Le cas de Madame Emily Nchama restera emblématique sur de telles pratiques. Elle intégrera la coalition de la CORED à sa genèse, elle sera expulsée de ce mouvement car il apparaissait qu’elle travaillait effectivement pour le pouvoir. A la suite de cette expulsion, elle créera donc une CORED « dissidente », le but poursuivi étant de superposer une deuxième coalition portant le même nom pour créer une confusion totale de rôle au niveau de la communication. Deuxième dissidence au sein de cette scission, nous verrons se créer une troisième CORED, par le fait de Monsieur Salomon Abeso qui aujourd’hui prétend se situer encore dans l’opposition sous ce sigle, pendant que Madame Emily Nchama est allée rejoindre les arcanes du pouvoir à Malabo avec les félicitations du Président Obiang. A la base de ce déroulé et des moyens mis en œuvre, reste la CORED, devenue parti politique depuis sa « déclaration de Madrid » en 2015, qui a résisté à ces aléas et relève le défi d’un parti d’opposition capable de créer et poser une alternative démocratique.
Cet exemple, parmi d’autres, démontre avec quelle « maestria » le pouvoir tente de manipuler les sources d’oppositions à l’étranger et dans quel climat ces oppositions évoluent sur ce terrain. Cela démontre aussi que la véritable capacité de contre balancement oppositionnel se situe dans ces structures, considérées par le gouvernement du Président Obiang comme un ennemi pas seulement potentiel mais au contraire à prendre très au sérieux.
Sous cet éclairage et en le situant à la lumière d’une crise économique qui frappe durement la Guinée Equatoriale depuis deux ans, accompagnée d’un cortège d’affaires juridiques pour faits de corruption à l’international touchant les membres de la famille présidentielle, nous pouvons mieux saisir pourquoi la date des élections reste incertaine, soit devançant la date butoir (mois de juin). Le mécontentement de la population, au fil de certaines péripéties, pénuries de carburant répétitives, interruption de fourniture électrique à Bata depuis plusieurs mois, mesures vexatoires diverses, devient palpable et va crescendo. Cette configuration de possible expression populaire spontanée reste sans doute l’inconnue, tant redoutée par le pouvoir, de cette équation économico-politique où les facteurs sociaux peuvent brutalement inverser les calculs. Il s’agit donc pour le pouvoir de viser au plus près la période qui lui sera la plus favorable avec l’endiguement d’une véritable montée de l’opposition et en parant à toute velléités populaires.
Nous voyons clairement un schéma de crise se mettre en place a contrario des élections précédentes, ceci à la faveur d’un pouvoir autoritaire qui s’essouffle après presque 40 ans de pratique ininterrompue et un contexte national avec la prise de conscience des citoyens qui devient efficiente et expressive.
Est-il encore temps de moduler cette situation devenue critique ? Certains le prétendent dans l’opposition, faisant appel aux instances internationales pour la mise en place d’un processus démocratique, sûr, fiable et sécurisé. La balle est donc dans le camp de Malabo qui devra décider de l’avenir de la Guinée Equatoriale en choisissant une continuité qui mène à une impasse immédiate ou une ouverture définitive en tournant radicalement une page de cette longue histoire.